Au Tchad, le procureur a confirmé jeudi la mort de Yaya Dillo Djerou, un opposant du régime tué par les forces de l’ordre lors d’un raid au siège de son parti. Cousin du président de la transition Mahamat Idriss Déby, cet ancien rebelle, devenu une figure de proue de l’opposition, était considéré comme le principal rival de l’actuel dirigeant en vue de l’élection présidentielle de 2024.
La nouvelle a provoqué un véritable séisme dans le paysage politique tchadien. Yaya Dillo Djerou, une personnalité politique d’opposition, a perdu la vie le mercredi 28 février, tué par les forces de sécurité lors d’une opération au siège de son parti. Selon le gouvernement, le président du PSF (Parti socialiste sans frontières) “n’a pas voulu se rendre et a ouvert le feu sur les forces de l’ordre” lors de cette opération policière. Les autorités accusaient Yaya Dillo Djerou d’avoir orchestré une attaque meurtrière contre les locaux des services de renseignement la veille, ce qu’il avait formellement nié, ainsi que d’avoir ourdi une “tentative d’assassinat” du président de l’Assemblée nationale une semaine auparavant. Ses partisans dénoncent quant à eux un assassinat politique à l’approche de l’élection présidentielle.
France 24 retrace le parcours de cet ancien chef rebelle qui avait rejoint le gouvernement sous la présidence d’Idriss Déby, avant de devenir l’un des critiques les plus virulents du régime.
Le conflit entre Yaya Dillo Djerou et le régime tchadien est à la fois politique et familial. Neveu du défunt président du Tchad Idriss Déby, il est issu de la même communauté, les Zaghawa, établis dans le nord-est du Tchad et l’ouest du Soudan. Il a d’abord été connu en tant que chef rebelle, à la tête du Socle pour le changement, l’unité et la démocratie (Scud) créé en 2005, regroupant des déserteurs des forces armées et du gouvernement tchadien qui ont pris les armes contre le régime d’Idriss Déby.
En 2008, Yaya Dillo Djerou a quitté la rébellion pour rejoindre le gouvernement, grâce à un accord avec le régime. Il a occupé successivement les postes de secrétaire d’État, ministre des Mines et de l’Énergie, et conseiller à la présidence. De 2018 à 2020, il a été le représentant du Tchad à la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac).
Au cours de l’année 2020, sa relation avec le pouvoir s’est brusquement détériorée. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux devenue virale, Yaya Dillo Djerou accuse la première dame Hinda Déby Itno de conflit d’intérêts à travers sa Fondation Grand Cœur. Selon lui, cette structure empiète sur les compétences de plusieurs ministères, notamment dans le secteur de la santé, et il demande qu’elle soit écartée de la gestion de la pandémie de Covid-19 qui frappe alors le pays. La femme du chef de l’État a déposé une plainte pour “diffamation et injures” à l’encontre de Yaya Dillo Djerou. Par la suite, ce dernier a été suspendu par la Cemac pour “manque de neutralité et violation du devoir de réserve”, puis licencié.
Le 28 février 2021, les forces armées tchadiennes se sont rendues à son domicile. L’arrestation, après son refus de répondre aux convocations de la justice selon les autorités, a dégénéré en bain de sang. Sa mère, son fils et plusieurs de ses partisans ont été tués par balles. Exfiltré de son domicile et caché par ses proches, Yaya Dillo Djerou a dénoncé dans les médias une tentative d’assassinat orchestrée par le chef de l’État. Le gouvernement affirme que les forces de l’ordre se sont simplement défendues après avoir reçu des tirs, causant plusieurs morts dans leurs rangs.
Cette escalade de violence à un mois de l’élection présidentielle a provoqué un tollé au Tchad. Plusieurs candidats se sont retirés et ont appelé au boycott. Malgré tout, le scrutin du 11 avril 2021 a été maintenu.
Après la mort soudaine d’Idriss Déby, tué au front selon la junte alors qu’il s’apprêtait à débuter son sixième mandat, son fils Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir. Exilé en Belgique depuis les événements tragiques de février 2021, Yaya Dillo est rentré au pays.
“Un accord a été conclu au sein de la famille avec le paiement de la diya, le prix du sang pour les morts”, explique un expert tchadien contacté par France 24, sous couvert d’anonymat. “C’est ainsi que les conflits claniques sont réglés dans le Nord pour éviter le risque de vengeance.”
À la tête du Parti socialiste sans frontières, Yaya Dillo Djerou a entrepris de rassembler les forces d’opposition sous la bannière de la Fédération de l’opposition crédible (FOC), lancée en février 2023. Ces dernières semaines, la tension entre le chef de l’opposition et le régime s’est intensifiée après le ralliement à son parti, en janvier, de Saleh Déby, frère du défunt président et oncle de Mahamat Idriss Déby. Saleh Déby a été arrêté mercredi par les forces de l’ordre lors du raid meurtrier qui a coûté la vie à Yaya Dillo Djerou.
“Le ralliement de Saleh Déby représentait une véritable menace pour le pouvoir : c’est une personnalité influente dans le clan, il dispose de moyens importants et s’était engagé à financer le PSF à l’approche de l’élection présidentielle”, souligne l’expert. “Depuis le ralliement de l’opposant Succès Masra au gouvernement, Yaya Dillo Djerou était le seul véritable opposant au régime. Outre sa popularité, il avait des contacts dans l’armée et était admiré pour son courage physique, ce qui est crucial au Tchad.”
La mort violente de Yaya Dillo Djerou survient quelques jours avant le début du dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle du 6 mai. Mahamat Idriss Déby, qui s’était engagé à rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la transition, a été investi en janvier par son parti comme candidat. Il n’a pas encore officiellement annoncé sa participation au scrutin.